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Francesco Vanni est un des derniers représentants de la longue tradition picturale siennoise. Dans cette composition magistrale à la plume et au lavis d'encre, il nous présente la Vierge du Rosaire, portant l'Enfant-Jésus debout sur ses genoux, entourée à sa droite de Saint Dominique et à sa gauche de Sainte Catherine de Sienne. La présence de ces deux saints emblématiques des Dominicains rappelle la dévotion de cet ordre à la prière du Rosaire.

 

  1. Francesco Vanni, un peintre siennois de la Contre-Réforme

 

Francesco Vanni est le peintre siennois le plus important de la fin du XVIème siècle et un artiste clé de la peinture italienne de la Contre-Réforme. Il développe un style tout à fait spécifique, s'inspirant non des modèles florentins mais plutôt des écoles romaines, bolognaises et des Marches, et en particulier de l'œuvre de son contemporain Federico Barocci (Urbino 1535 - 1612), même s'il semble que les deux artistes ne se sont jamais rencontrés.

 

Francesco Vanni naît à Sienne vers 1563-1564. Son père décède en 1567 et sa mère se remarie avec Arcangelo Salimbeni (1536 - 1579), alors l'un des principaux peintres siennois. Son demi-frère Ventura Salembini (1568 - 1613) deviendra également un peintre reconnu. Il poursuit son apprentissage à Bologne et à Rome où il rentre dans l'atelier du peintre Giovanni de Vecchi (1536 - 1614), où il est très influencé, comme d'autres peintres toscans de cette époque, par l'art de Federico Barocci.

 

Il se consacre principalement à la peinture religieuse, épousant les canons de la Contre-Réforme, voyageant entre Sienne, Rome, Bologne et Parme avant de retourner définitivement à Sienne, où il finira ses jours, en 1604. Vanni était d'ailleurs un membre important de la Confraternité du Sacro Chiodo, réputée pour ces pratiques religieuses exigeantes.

 

Il laisse également une importante œuvre gravée.

 

  1. Description de l'œuvre

 

La Vierge est représentée trônant en majesté, légèrement plus grande que les autres personnages qu'elle domine de son piédestal. Sa large robe aux plis marqués évoque la statuaire de la Renaissance. Elle est couronnée par deux anges qui volent dans les cieux. Ces deux anges rappellent l'adjonction fréquente à l'époque de Vanni d'un couronnement d'ange aux icônes peintes au XIIIème siècle.

 

L'Enfant-Jésus est debout sur son genou droit. Elle tend de sa main gauche un chapelet à Catherine de Sienne, identifiable à la branche de lys qu'elle tient dans sa main. Dans un geste symétrique l'Enfant-Jésus tend également un chapelet à Saint Dominique, dont nous retrouvons au pied de la Vierge deux des attributs : un livre et une branche de lys. Le traitement des mains de Saint Dominique, longues et fines, est particulièrement délicat.

 

Les deux chapelets tendus constituent le lien entre le registre céleste de la Vierge et de l'Enfant Jésus et le registre terrestre des deux Dominicains, qui sont suivis d'une foule nombreuse. Les deux Dominicains ne sont pas couronnés d'une auréole, ce qui indique qu'ils sont tous les deux représentés comme faisant partie de la multitude des vivants appelés à la prière du Rosaire.

 

Il nous paraît plausible, selon la tradition iconographique classique, que le seul personnage regardant le spectateur, à l'extrême gauche du dessin soit un autoportrait du peintre. Le visage de Francesco Vanni nous est connu par un autoportrait conservé à la Pinacothèque Nationale de Sienne.

 

La mise au carreau du dessin suggère qu'il a été utilisé pour la réalisation à plus grande échelle d'un tableau d'autel destiné vraisemblablement à une église dédiée à Saint Dominique ou à un couvent de l'ordre des Dominicains.

 

Nous n'avons pas à ce jour identifié le tableau pour lequel ce dessin aurait servi de modello préparatoire. La Madone du Rosaire de la cathédrale de Pitigliano (peinte par Francesco Vanni en 1609) diffère assez notablement de notre dessin par l'adjonction du Pape Pie V, et l'inclusion de Saint Dominique et de sainte Catherine au registre céleste.

 

Nous pensons que notre dessin est antérieur à ce tableau de par sa composition plus symétrique, moins influencée par un souffle baroque. La présence de Sainte Catherine de Sienne, particulièrement vénérée dans sa ville natale dans laquelle Francesco Vanni retourne fréquemment à partir de 1590, nous amène à proposer pour ce dessin une datation vers 1590 - 1600.

 

  1. Le Rosaire et l'ordre Dominicain

 

Il nous paraît intéressant de rappeler le rôle de Saint Dominique dans la diffusion de la prière du Rosaire pour éclairer le sens iconographique de cette œuvre.

 

Dominique Nuñez de Guzman naît vers 1170 à Caleruega (près de Burgos) en Espagne et meurt en 1221 à Bologne en Italie. Il est le fondateur de l'ordre des frères prêcheurs appelés couramment les « Dominicains ». Canonisé par l'Eglise en 1234, il est depuis célébré sous le nom de Saint Dominique. 

 

Au terme de trois jours de prière dans la forêt de Bouconne, aux portes de Toulouse, Dominique aurait reçu le rosaire comme moyen de convertir les populations adeptes du catharisme. Les Dominicains se sont par la suite attachés tout particulièrement à promouvoir cette forme de prière méditative. Le Pape Pie V, un Dominicain, a d'ailleurs inscrit la fête du Rosaire (le 7 octobre) dans le calendrier liturgique en 1571.

 

La forme du Rosaire a évolué au cours des siècles et comprend traditionnellement la récitation de trois chapelets (quatre depuis Saint Jean-Paul II). Chaque chapelet se compose de cinq dizaines de « Je vous salue Marie », précédées chacune d'un « Notre Père » et suivies d'un Gloria. Cette récitation permet de méditer avant chaque dizaine sur un des épisodes de la vie du Christ ou de la Vierge Marie appelés « Mystères ».

 

Catherine Benincasa, appelée plus généralement Catherine de Sienne, est née le 25 mars 1347 à Sienne et décède le 29 avril 1380 à Rome. Tertiaire dominicaine, c'est une grande mystique qui a relaté ses discussions avec Dieu dans le Dialogue, une œuvre dictée à ses secrétaires pendant ses transes mystiques. Elle a été canonisée en 1461 et déclarée docteur de l'Eglise (en 1970). C'est la grande figure féminine de l'ordre des Dominicains, qu'elle contribua à rénover en réaffirmant l'importance de la voie tracée par Saint Dominique.

 

En représentant Saint Dominique et Sainte Catherine de Sienne recevant le Rosaire, Francesco Vanni célèbre à son tour l'institution de cette prière chère aux Dominicains. En accord avec l'élan missionnaire de la Contre-Réforme, le message présenté par ce tableau est simple et facilement intelligible. Le Rosaire est le lien privilégié pour accéder à l'intercession divine, et comme la foule représentée derrière les deux saints nous l'indique, nous sommes tous appelés à la prière du Rosaire.

 

Nous avons encadré ce très beau dessin dans un cadre peint et argenté de goût baroque, vraisemblablement du XVIIIème siècle sicilien. Sa couleur dominante rouge-orangé rappelle la prédilection de l'école siennoise pour cette gamme chromatique.

 

Principales références bibliographiques :

John Marciani and Suzanne Boorsch - Francesco Vanni - Art in the Late Renaissance Siena - Yale University Art Gallery 2003

Marco Ciampolini - Pittori senesi del Seicento - Siena 2012