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Ce très beau dessin, d'une grande virtuosité technique, est une des nombreuses études réalisées par Ingres pour Astrée, l'un des personnages clé de la fresque de L'âge d'or peinte entre 1843 et 1847 au château de Dampierre (Yvelines). C'est aussi l'une des rares études encore en main privée, la plupart d'entre elles étant conservées au Musée Ingres-Bourdelle de Montauban.

 

  1. Jean-Auguste-Dominique Ingres

 

Après un premier apprentissage à Montauban, sa ville natale, Jean-Auguste-Dominique Ingres devient à Paris l'élève de Jacques-Louis David. Prix de Rome en 1801, il ne peut s'y rendre qu'en 1806, et y reste jusqu'en 1820. C'est à Rome qu'il découvre la peinture de Raphaël qui aura une influence décisive sur son style et qu'il développe un goût pour l'art antique. C'est également là qu'il se marie en 1813 avec Madeleine Chapelle (1782-1849), une jeune modiste originaire de Guéret. En 1820, il quitte Rome pour Florence où il réside jusqu'en 1824.

 

Il rencontre finalement le succès en France avec son Vœu de Louis XIII exposé au Salon de 1824, destiné à la cathédrale de Montauban. Ce succès l'amène à rentrer en France avant d'être nommé directeur de l'Académie de France à Rome, où il retourne de 1835 à 1842.



Dès 1839 le duc de Luynes, grand seigneur propriétaire du château de Dampierre lui commande deux panneaux allégoriques aux dimensions colossales (480 x 660 cm). Les thèmes choisis par Ingres de l'âge d'or et de l'âge de fer reflètent son goût pour l'antiquité grecque et romaine. Mais ce n'est qu'après son retour de Rome en août 1843 qu'Ingres s'installe à Dampierre. Il y réside pendant plusieurs années à la belle saison pour travailler à cette commande pour laquelle il s'inspire des chambres de Raphaël au Vatican.



Il quitte Dampierre en novembre 1847 après avoir pratiquement achevé L'âge d'or et ébauché L'âge de fer. La Révolution de 1848 et le bouleversement général qui en découle ne lui permettent pas de retourner à Dampierre en 1848, en plein accord avec son commanditaire. Il songe à reprendre ses travaux au cours de l'été 1849 mais le 27 juillet sa femme Madeleine décède, laissant Ingres profondément désemparé.

 

Ingres ne reprendra jamais les travaux de Dampierre et signe le 7 mars 1850 une transaction avec le duc, abandonnant les deux fresques en l'état sans autre indemnité que les 20 000 francs déjà reçus. En souvenir Ingres réalisera toutefois en 1862 une copie de L'âge d'or en taille réduite (46.4 x 61.9 cm), comprenant quelques variantes qu'il conservera jusqu'à sa mort. Elle est aujourd'hui conservée au Fogg Art Museum de Cambridge, Massachusetts (Etats-Unis d'Amérique).

 

On retrouve le souvenir de sa femme Madeleine dans le Bain Turc réalisé en 1862 :  l'odalisque aux bras levés s'inspire d'un dessin représentant Madeleine réalisé en 1818. Ingres meurt le 14 janvier 1867 au 11 quai Voltaire à Paris.

 

  1. Description de l'œuvre

La composition de L'âge d'or est tripartite : à gauche un groupe de personnage autour d'Astrée, qui symbolise la Justice, au centre un groupe de femmes dansant autour d'un autel, à droite un groupe de personnages autour d'un couple de jeunes mariés. Le message iconographique est clair : les principes moraux - la Justice et la Religion - sont les fondements de la vie de famille et de la société aristocratique. La composition cintrée choisie par Ingres est un hommage aux Chambres du Vatican de Raphaël.

 

Dernière des immortelles à vivre parmi les humains durant l'âge d'or, Astrée ou Astrapé est la fille de Zeus et de Thémis. Elle est la personnification de la Justice, ce qui explique qu'elle est souvent représentée avec une balance entre les mains. Elle figure, vêtue d'une tunique blanche, à gauche de la fresque de Dampierre (et de sa reprise postérieure réalisée par Ingres conservée au Fogg Museum).

 

La préparation des fresques de Dampierre a généré chez Ingres une intense activité graphique. Plus de cinq cents dessins sont connus dont la plus grande partie est conservée au Musée Ingres-Bourdelle de Montauban. Henry Lapauze dans son livre consacré à Ingres publié en 1911 écrivait à propos de cet ensemble : « le crayon du maître s'y montre plus aisé et tout ensemble plus serré qu'ailleurs. Jamais il n'eut plus de spontanéité que dans ces études frémissantes de jeunesse et de vie, riches de mouvement, d'idéal et de joie ».

 

Les études consacrées à Astrée conservées au Musée Ingres-Bourdelle permettent de retracer le parcours créatif du peintre dans la réalisation de cette figure clé : mise en place de la stature à partir d'un nu, essais de tunique, dans un premier temps à mi-corps (comme dans notre dessin), puis drapant l'intégralité du corps dans la version définitive.

 

Cette évolution iconographique s'explique peut-être par la difficulté ressentie par Ingres devant la composition qu'il avait pourtant choisie, comme il l'écrivait dans une lettre à son ami Marcotte en 1847 : « Et toujours du nu, rien que du nu sans le recours des belles couleurs de la palette données aux draperies ».

 

  1. Une technique de dessin toute particulière

 

Les différentes étapes du dessin se retrouvent dans les différents matériaux utilisés dans notre dessin, avec une grande dextérité dans le mélange des techniques.

 

La silhouette d'Astrée est simplement esquissée d'un trait d'encre brune. Cette encre métallo-gallique (généralement obtenue par réaction entre une substance végétale comme le tanin et le sulfate de fer) s'éclaircie avec le temps sous l'effet de l'oxydation du fer et prend une teinte dorée comme dans notre dessin. Elle est beaucoup plus adaptée que l'encre au carbone pour un travail à la plume.

 

L'esquisse du visage et la signature sont eux réalisés au crayon de graphite. Inventé à la fin du dix-huitième siècle en insérant dans une gaine de bois un mélange d'argile blanche et de poudre de graphite, ce médium fut beaucoup utilisé par Ingres tout au long de sa carrière.

 

Enfin, l'essentiel de la draperie est réalisée au crayon de pierre noire, obtenu à partir d'une roche naturelle riche en carbone parfois mélangée à d'autres constituants comme du noir de fumée pour en renforcer la couleur. Les traits de crayon noir peuvent être facilement estompés comme ici dans le plissé ou sous l'échancrure du coude.

 

  1. Encadrement

 

Notre dessin est présenté dans un cadre tout simple, en baguette dorée vraisemblablement du XIXème siècle. Un large passe-partout équilibre le caractère allongé de ce très beau dessin.

 

Principales références bibliographiques :

Henry Lapauze - Ingres, sa vie & son œuvre (1780 - 1867) d'après des documents inédits - 1911

Georges Vigne - Ingres - Abbeville Press 1995

Pierre Viguie - Ingres et l'âge d'or - La Revue des Deux Mondes - décembre 1967

(sous la direction de)Vincent Pomarède, Stéphane Guégan, Louis-Antoine Prat et Eric Bertin  - Catalogue de l'exposition Ingres du Musée du Louvre (24 février 2006 - 15 mai 2006)- Gallimard/ Musée du Louvre 2006

(sous la direction de) Florence Viguier-Dutheil  - Ingres - Secrets de dessin; Le Passage 2011