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Cette guirlande de fleurs d’une grande puissance décorative révèle une très forte influence flamande qui permet de l’attribuer avec certitude à Giovanni Stanchi, l’aîné d’une fratrie de peintres actifs dans la production de natures mortes à Rome au XVIIème siècle. Vraisemblablement réalisée entre 1626 et 1640, notre guirlande recèle sous son opulence décorative un message mystique crypté que nous allons vous révéler …

 

  1. Giovanni, Niccolò et Angelo Stanchi, une fratrie de peintres de natures mortes dans la Rome Baroque du XVIIème siècle

 

Les trois frères Stanchi, Giovanni (1608 - après 1675), Niccolò (ca. 1623 - 1690) et Angelo (1626 - après 1675) ont vécu et travaillé ensemble (à l’instar des frères Le Nain), ce qui rend l’identification des différentes mains périlleuse.

 

Le nom de Giovanni Stanchi est mentionné pour la première fois en 1634, dans le registre de la guilde des peintres de l’"Accademia di San Luca". L'adhésion payante à la guilde des peintres permettait en effet de disposer d'un réseau social, mais aussi de recevoir des commandes de la part d'importantes familles romaines. En 1638, Giovanni Stanchi a réalisé un tableau pour la famille Barberini qui représentait leurs armoiries entourées de fleurs. En 1660, il est chargé par le cardinal Flavio Chigi de décorer une galerie avec des natures mortes de fleurs et de fruits. Les Chigi restent ses principaux mécènes jusqu'après 1673. Par la suite, il reçoit des commandes de presque toutes les familles importantes de Rome. Une facture datée de 1670 identifie Giovanni Stanchi et Nuzzi comme les peintres responsables des natures mortes qui décoraient les célèbres miroirs du Palazzo Colonna. En 1675, le nom de Giovanni Stanchi apparaît pour la dernière fois dans le cadre d’un chantier où il est engagé avec Andries Bosman et le peintre de figures Ciro Ferri à la décoration des miroirs du Palazzo Borghese sur le Campo Marzio.

 

Bien que les trois frères aient été actifs en tant que peintre, les enregistrements de leurs commandes font toujours référence à Giovanni, car, en tant que frère aîné, il était responsable des factures et des contrats. Ce n'est que dans quelques cas que le nom de l'un des frères cadets est mentionné. Seuls les tableaux dans lesquels se décèlent une très forte influence flamande et qui datent des quatre premières décennies du XVIIème siècle, comme celui que nous présentons, peuvent être donnés avec certitude à Giovanni, puisque celui-ci était alors le seul peintre de la famille.

 

2. Histoire d’un genre : la guirlande de fleurs

 

C’est à Jan Brueghel l’Ancien (Bruxelles 1568 – Anvers 1625) qu’est attribuée l’invention du thème de la guirlande de fleurs, pendant son séjour à Rome en 1592. Cette guirlande était originellement utilisée pour entourer un sujet religieux, souvent marial. Cette scène religieuse pouvait parfois être peinte par un autre artiste, comme dans le tableau acquis en 1608 par le Cardinal Borromeo, tableau dans lequel figure une Sainte Vierge (peinte par Henry van Balen), entourée d’une guirlande peinte par Jan Brueghel.

 

Ce thème sera repris et développé à Rome à partir de 1625 par Daniel Seghers, avant que le jeune Giovanni Stanchi ne se l’approprie, en renforçant à la fois la dimension symbolique (sur laquelle nous reviendrons) et en s’éloignant de l’approche naturaliste de Jan Brueghel pour développer une certaine idéalisation de chaque fleur, tout en se rapprochant de la manière de Mario Nuzzi (Rome 1603 – 1673). Par ces guirlandes dont il est le meilleur interprète italien au XVIIème siècle, Giovanni Stanchi se révèle également être un de ceux les plus fidèles à la tradition flamande.

L’ouvrage de Gianluca et d’Ulisse Bocchi recense neuf natures mortes très proches de la nôtre, toutes exécutées sur un fond noir (dont celle reproduite dans la galerie (dernière photo) qui appartient à la Pinacothèque Nationale de Bologne). Du fait de leur proximité avec des œuvres flamandes, elles peuvent être attribuées avec certitude à Giovanni Stanchi. Quatre d’entre elles appartiennent à des collections privées, les autres étant toutes dans des institutions publiques (Anhaltische Gemäldegalerie de Dessau, Galeria du Palazzo Bianco de Gênes, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Pinacothèque Nationale de Bologne, Palazzo Chigi-Saraceni de Sienne).

 

A l’instar de celles des natures mortes flamandes, les fleurs représentées par Giovanni Stanchi fleurissent à différentes périodes de l’année, excluant toute représentation d’un bouquet réel. Il est également intéressant de noter à côté des fleurs plus traditionnelles de nos jardins (roses, tulipes, jacinthes, jonquilles, iris) l'inclusion assez fréquente de fleurs plus exotiques comme le jasmin mais également le liseron bleu (ipomoea indica), récemment introduit en Europe et d'origine mexicaine.

Chaque fleur peinte par Giovanni Stanchi semble avoir son individualité propre, un trait caractéristique à la peinture flamande dont Stanchi sera le seul interprète en Italie. Stanchi ne nous donne pas à voir une guirlande de fleurs, mais des fleurs dans une guirlande, chacune gardant son identité et sa spécificité qui la rend unique et différente des autres. Saisies dans une lumière rasante qui semble les avoir figées pour l’éternité, les fleurs de Stanchi sont dessinées avec des lignes claires et précises qui les font surgir pleines de fraîcheur de l’obscurité, selon des figures géométriques qui renforcent la qualité tactile de leur représentation.

 

Une des particularités de Giovanni Stanchi est d’avoir substitué à la représentation religieuse centrale traditionnellement associée aux guirlandes de fleurs flamandes un vol de chardonnerets et de papillons, dont nous reviendrons sur la dimension symbolique, après avoir expliqué celle de la guirlande.

 

3. Interprétation symbolique

 

La contemplation de la nature, à travers ses productions animales et végétales pouvait être considérée au XVIIème siècle comme une activité métaphysique, la contemplation de l’infinie variété de la création générant une appétence pour la vie éternelle. Dans ce contexte, chaque représentation peut cacher en elle une dimension symbolique et présenter un message crypté complexe que nous nous proposons d’éclairer.

 

La couronne de fleurs pour commencer est le symbole de l’hortus conclusus, ce jardin clos évoqué dans le Cantique des Cantiques qui sera parfois considéré comme une image symbolique de la virginité de Marie, mais également comme le lieu dans lequel peut se développer la vie spirituelle en étant protégé du monde et de ses tentations. La guirlande devient ainsi l’image du jardin de l’âme, un espace imaginaire parfait dans lequel peuvent se développer les émotions mystiques. L’émotion créée par la beauté et la fragilité des fleurs (qui rappelons le ne peuvent coexister simultanément dans la nature) permet d’affirmer de manière tangible la dignité équivalente du naturel et de l’artificiel à travers le désordre apparent des fleurs, ordonné et structuré de manière géométrique et chromatique par le peintre qui nous donne ainsi l’illusion que cette guirlande est en suspension, libérée de toute contrainte de gravité.

 

Le papillon est depuis le monde grec le symbole de l’âme – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le dos de la jeune Psyché est orné d’ailes de papillon – mais également celui de l’accession au divin. Dans le monde chrétien, le papillon devient le symbole de la vie éternelle de l’âme qui quitte le corps après la mort.

 

Le chardonneret (souvent représenté dans les mains de l’Enfant Jésus dans les Vierge à l’Enfant, comme dans le tableau de Raphaël des Offices reproduit ci-dessous) est aussi une représentation de l’âme, mais également une évocation de la crucifixion du Christ. Les chardonnerets sont effectivement connus pour leur goût pour les chardons (dont ils tirent leur nom), chardons dont les épines évoquent la couronne portée par le Christ pendant la Passion. Une légende attribue également à un chardonneret d’avoir taché son plumage du sang du Christ en lui retirant une épine du front, tache qui se serait depuis perpétuée chez tous les chardonnerets !

 

Tous ces éléments nous permettent d’affirmer que Stanchi, au-delà du succès décoratif indéniable de ces tableaux, nous invite bien ici à une méditation philosophique et métaphysique dont le sens crypté, aujourd’hui bien obscur, était immédiatement compris par le public cultivé des dignitaires romains auxquels ses toiles étaient destinées.

 

4. Encadrement et présentation

 

Notre tableau est encadré dans un cadre moderne de style flamand qui fait écho à l’inspiration de Giovanni Stanchi par la peinture flamande. Une particularité de cette toile est qu’elle peut aussi bien être présentée verticalement qu’horizontalement, comme nous allons l’illustrer par la reproduction du tableau encadré qui est également présenté dans la galerie dans un format vertical.