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Ce dessin nous plonge au cœur de la Rome de la Renaissance, et plus particulièrement de l’atelier que Raphaël partageait avec ses élèves. Il nous donne un exemple de la pratique du dessin parmi ses élèves et de son rôle dans la conception et l’élaboration d’un projet final – ici les fresques de la chapelle Chigi dans l’église romaine de Sainte Marie de la Paix.

 

Nous pensons en effet que ce dessin fait partie des études préparatoires réalisées sous la direction de Raphaël par l’un de ces élèves, sans exclure toutefois une réalisation légèrement plus tardive, après la réalisation de la fresque mais en tous les cas dans le premier quart du XVIème siècle.

 

  1. La pratique du dessin dans l’atelier de Raphaël

 

Notre dessin, qui s’attache particulièrement à rendre le clair-obscur et les volumes du personnage de la sybille phrygienne, fait vraisemblablement partie du corpus préparatoire exécuté vers 1514 au sein de l’atelier de Raphaël pour préparer les fresques de la chapelle Chigi. L'une des pratiques les plus connues instaurées par Raphaël au sein de son atelier, pour répondre aux nombreuses commandes qui lui étaient faites, était celle du perfectionnement continu d’un même sujet au cours des différentes phases de conception et d'exécution.  Les thèmes choisis étaient planifiés par le maître et donnaient lieu à la réalisation de plusieurs variantes d’un même sujet confiées en premier lieu à ses élèves (pouvant aller jusqu'à des études de figures individuelles à la sanguine ou au crayon, souvent exécutées d'après nature puis retouchées par lui). L'étape suivante et finale était la production de cartons (permettant le report du motif sur le mur de la fresque) ou d'autres dessins auxiliaires, souvent sous forme de copies destinées à l'atelier ou exécutées à des fins d'enseignement.

 

La localisation de la fresque, au-dessus de l’arc d’accès à la chapelle, les libertés prises dans ce dessin par rapport à la fresque nous amènent à penser qu’il s’agit bien d’un travail préparatoire, même si nous ne pouvons l’affirmer avec certitude. Le dessin aurait alors été réalisé par un élève de Raphaël dans la décennie qui a suivi celle de la fresque (et avant le sac de Rome en 1527), sa technique appartenant indubitablement à une œuvre du premier quart du seizième siècle.

 

2. Les Sybilles de Raphaël de la chapelle Chigi

 

Les Sybilles étaient dans l’Antiquité des Vierges consacrées à Apollon qui avaient la faculté de porter de manière obscure et ambivalente le message des Dieux en professant des oracles. L’Eglise d’Occident a interprété certains de ces messages comme l’annonce de la venue du Christ et identifié douze Sybilles – dix initialement, nombre porté à douze pour correspondre au nombre des apôtres – comme des prophétesses de la venue du Sauveur, en les considérant comme l’équivalent païen des prophètes vétérotestamentaires.

 

En 1514 Raphaël a réalisé une fresque représentant quatre Sybilles pour le banquier Chigi. Celui-ci était un des grands commanditaires de Raphaël, qui travaillait en même temps sur les fresques profanes de sa villa connue aujourd’hui sous le nom de Villa Farnesina. Elle est située sur l’arcade menant à une de ses chapelles privées dans l’Eglise de Santa Maria della Pace. Les Sybilles sont représentées écoutant le message divin qui leur est apporté par des Anges.

 

Dans la fresque de Raphaël, la sybille phrygienne est représentée assise à droite de l’arc d’accès à la chapelle, à côté de la sybille de Cumes. Toutes les deux ont le regard tourné vers une inscription en grec figurant sur un panneau porté par un ange. Un autre ange les sépare, portant un deuxième panneau sur lequel figure un extrait des Bucoliques de Virgile, 4ème églogue, composée en l’honneur d’un fils de Pollion, son protecteur. Cette inscription, beaucoup plus lisible dans la fresque de Raphaël que sur notre dessin indique :

IAM

NOV

PRO

GEN

soit le début d’un vers des Bucoliques : « Iam nova progenies caelo demittitur alto » que nous pouvons traduire par « Déjà une nouvelle race est envoyée du haut des cieux ». Ce vers fait suite à un autre vers « Ultima Cumaei venit iam carminis aetas » que l’on peut traduire par « Le dernier âge du chant [de la sybille] de Cumes est déjà arrivé » et nous explique en quoi la Sybille de Cumes, représentée de profil devant cette inscription, pouvait être considérée comme une annonciatrice de l’arrivée du Christ.

 

Ce rapprochement entre la littérature antique et les messages eucharistiques est typique du goût de la Renaissance pour l’érudition savante.

 

Dans cette fresque Raphaël entre clairement en compétition avec Michel-Ange (1475 – 1564) qui avait représenté au plafond de la chapelle Sixtine, réalisé entre 1508 et 1512, cinq sybilles en accompagnement de sept prophètes. L’influence de Michel-Ange sur la fresque de Raphaël, que nous retrouvons de façon très marquée dans notre dessin et en particulier dans le bras de la sybille phrygienne, est indéniable, comme l’illustre par exemple la reproduction de sybille d’Erithrée de la voûte de la chapelle Sixtine.

 

3. Les dessins de Raphaël

 

Plusieurs dessins de Raphaël en relation avec les fresques de la chapelle Chigi sont connus : le plus proche de notre dessin est une étude détaillée de la sybille de Phrygie conservé au British Museum de Londres, de dimensions similaires ; l’Ashmolean Museum d’Oxford présente également une étude de la composition de la partie droite de l’arche (WA1846.194) et une autre étude de la sybille phrygienne (WA1846.203) avec une position des bras différente.

 

4. De la collection Desperet à la présentation actuelle

 

Cette sanguine a fait partie de la collection Desperet vendue en juin 1865 à Paris. Elle était alors attribuée à Raphaël, comme en témoigne une inscription manuscrite, du dix-huitième ou du dix-neuvième siècle, située en bas à gauche de notre dessin.

 

Etienne, dit Auguste Desperet (1804 -1865) est un graveur sur bois qui avait réalisé une importante collection de dessins dispersée à sa mort. Né à Lyon il fut à Paris un élève de Lethière et est connu pour ses gravures sur bois d’après Granville et Ingres. Après la mort de Granville il fut employé à la Chalcographie du Louvre. Collectionneur impénitent, il consacra tous ses moyens pour réunir une collection de dessins de maîtres anciens, achetant des dessins des grands noms du XVIIIe siècle Français, très dédaignés à l’époque, mais aussi des dessins des grands maîtres de l’Ecole Italienne et des Ecoles du Nord. Ce dessin était un des trois attribués à Raphaël présents dans sa collection et c’est celui des trois qui s’est vendu le plus cher (450 Francs). La collection de dessin dans son intégralité (648 numéros) s’était vendue autour de 23,000 Francs, le prix le plus élevé (1,000 Francs) étant atteint par une sanguine attribuée à Léonard de Vinci représentant une étude d’enfant.

 

Ce dessin est aujourd’hui présenté dans un cadre vénitien en bois laqué et doré. Du début du XVIIe siècle il est orné d’un décor de rinceaux encadrés par des rubans.

 

Bibliographie

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