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Cet exceptionnel groupe en bronze (inédit) exécuté à Rome dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle témoigne de la fascination pour le Laocoon depuis la découverte de ce groupe en marbre le 14 janvier 1506 sur l'Esquilin, un site où s'élevait la Maison d'Or de Néron et les thermes de Titus.

 

La mode du Grand Tour, ce voyage initiatique effectué par les jeunes aristocrates anglais, entraîne le développement à Rome d'ateliers spécialisés dans les reproductions d'antiques. L'atelier des Zoffoli est le premier à recevoir sa patente en 1775 ; ce Laocoon (dont nous n'avons retrouvé que deux exemplaires dont le nôtre) est une des pièces les plus prestigieuses produites par les Zoffoli comme en témoigne la signature apposée sur son flanc.

 

  1. Le Laocoon, un groupe fameux depuis l'Antiquité

 

Apparue dans la Petite Iliade d'Arctinos de Milet, un poète épique du VIIIème ou VIIème siècle avant J.C., et reprise dans le célèbre récit de l'agonie de Troie que fait Enée dans le palais de Didon, au chant II de l'Enéide de Virgile, l'histoire de Laocoon est celle d'un prêtre de Poséidon (ou d'Apollon) qui meurt étouffé par deux serpents sortis de la mer après avoir mis en garde les Troyens contre le Cheval de Troie, déposé sur la grève comme une offrande faite à Poséidon. Ses deux fils qui l'accompagnaient sont également la proie des mêmes monstres. 

 

La découverte en 1506 des fragments d'un groupe colossal en marbre le représentant est un véritable évènement : un rapport est immédiatement établi avec la statue dont parle Pline l'Ancien au livre XXVI de son Histoire Naturelle. Il dit avoir vu dans la maison de Titus un Laocoon et ses enfants pris dans les anneaux de reptiles prodigieux qu'il attribue aux trois sculpteurs Hagèsandros, Polydôros et Athanadôros, tous originaires de Rhodes. L'analyse du monument révèle toute fois que, contrairement à ce qu'écrivait Pline l'Ancien, il est composé de plusieurs blocs de marbre, et non sculpté dans un seul bloc (« ex uno lapide »). Ce point a entraîné une controverse sur la nature exacte de la découverte : s'agissait-il bien du marbre admiré par Pline l'Ancien, ou seulement de sa copie ?

 

Cette controverse a pris un tour nouveau après la découverte dans la grotte de Sperlonga, au Sud de Rome, qui faisait partie d'une villa en dernier lieu aménagée par l'empereur Tibère, d'une pierre portant la signature des trois artistes cités par Pline l'Ancien à propos du Laocoon.

 

Deux thèses principales s'affrontent depuis, sans qu'aucun élément décisif ne permette de faire un choix définitif. Pour les uns, le marbre du Vatican est la copie réalisée par les sculpteurs rhodiens au début du 1er siècle, à l'époque de Tibère, à partir d'un bronze, aujourd'hui disparu, exécuté vers 140 avant J.C. à Pergame. Cette sculpture aurait ensuite été transmise jusqu'à Titus. Pour les autres, le Laocoon est bien une création produite entre 40 et 20 avant J.C. par les trois sculpteurs rhodiens établis en Italie depuis le milieu du 1er siècle avant J.C.

 

Quelque soit sa date de création, cette sculpture a été exécuté avec une immense virtuosité et les sculpteurs ont réussi à arracher du marbre des formes complexes et expressives qui nous touchent encore aujourd'hui. Véritable tour de force sans équivalent dans la statuaire antique, ce groupe a fait l'objet d'une fascination continue depuis sa création, comme en témoignent l'admiration de Pline l'Ancien, de Michel-Ange et de Goethe.

 

2. Une histoire mouvementée depuis sa redécouverte

 

La genèse de la reconstitution du groupe à partir des fragments découverts sur l'Esquilin est mal connue même si les noms de Baccio Bandinelli et de Giovanni Angelo Montorsoli, un des collaborateurs de Michel-Ange ont été avancés. Une étape étonnante dans la reconstitution du groupe reste la découverte par L. Pollack en 1905 du bras droit de Laocoon au milieu de débris antiques rassemblés chez un tailleur de pierre romain.  Celui-ci sera d'ailleurs remis en place dans le cadre d'une restauration complète du groupe monumental entre 1957 et 1959 (comme on peut le voir sur la photographie présentée ci-dessous).

 

La position plus fléchie du bras vers l'arrière plaçait la main de Laocoon au niveau de sa nuque. Cette position est d'ailleurs plus cohérente avec la forte contraction des muscles de son torse. A l'intérêt évident de notre bronze s'ajoute celui de présenter un état historique, antérieur à cette réintégration, de ce groupe tant admiré depuis sa redécouverte à la Renaissance.

 

La qualité du Laocoon a de tout temps excité les convoitises. François 1er désirant l'acquérir en fait la demande au Pape Clément VII qui lui propose une copie qui sera achevée par Baccio Bandinelli en 1525. La qualité de cette copie amène le Pape à changer d'avis ; il l'envoie rejoindre les collections familiales à Florence (où elle est toujours conservée au Musée des Offices) et envoie d'autres statues antiques au Roi. François 1er obtient cependant le droit de faire réaliser vers 1540 un moulage en plâtre sous la direction du Primatice, duquel est tiré le bronze conservé au château de Fontainebleau.

 

Napoléon achève le rêve de François 1er et ramène le Laocoon à Paris pour orner le Muséum National du Louvre ; le groupe sera toutefois rendu au Musée Pio-Clementin du Vatican après l'abdication de l'empereur en 1815.

 

3. Une source d'inspiration majeure depuis la Renaissance

 

L'impact de cette statue sur l'histoire des arts est considérable : alors que de nombreux sculpteurs (Sansovino, Susini …) fondent dès la Renaissance des bronzes de taille réduite inspirés par le Laocoon, le groupe inspire également largement les dessinateurs, les graveurs et les peintres par la diffusion de ces gravures. Outre le Laocoon du Gréco, on peut également retrouver une influence de la position de Laocoon dans des tableaux aussi divers que le Couronnement d'épines du Titien ou Hercule et Omphale de Rubens, pour ne citer que deux exemples conservés au Musée du Louvre.

 

Cette vogue du Laocoon est bien sûr exacerbée quand, dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, Rome devient avec Naples, et devant Venise, la principale destination des jeunes aristocrates effectuant leur Grand Tour. Une bonne illustration de cet engouement est le portrait de Thomas Dundas exécuté en 1764 à Rome par Pompeo Batoni à l'arrière-plan duquel figure le Laocoon.

 

4. Une production majeure de l'atelier des Zoffoli, d'une insigne rareté

 

Le développement du « tourisme » du Grand Tour entraîne également celui d'une industrie des souvenirs. Destinés à une clientèle fortunée, ils sont souvent réalisés dans des matériaux précieux (marbre, bronze, pierres dures, porcelaine). Les frères Zoffoli sont les premiers à ouvrir un atelier proposant des reproductions d'antiques en bronze, ils seront suivis par les Righetti, qui obtiennent leur patente en 1783, puis par les Volpato qui fondent cette fois-ci une manufacture de porcelaine en 1785, puis enfin par Giuseppe Boschi qui sera actif entre 1785 et 1810.

 

La qualité des bronzes des frères Zoffoli avait déjà impressionné leurs contemporains. En 1795 Charles Heathcote Tatham écrivait à Henry Holland « the bronze used by the Italians [en comparaison des fonderies françaises] is of the best metal, with what they call a patina, meaning the outward colour, of a good nature […] and above all their execution is superlatively good, having artists employed who study the antique with attention and model with great ingenuity and taste".

 

En témoignage de l'activité des frères Zoffoli, nous disposons du catalogue de leurs productions[1], dans lequel notre Laocoon figure en tête de liste, à droite du non moins célèbre Apollon du Belvédère. Proposé au prix de 50 sequins d'or, alors que par exemple l'Apollon ne coûtait que 16 sequins, le Laocoon était le deuxième article le plus coûteux, après les statues d'Oreste et d'Electra de la collection Ludovisi qui étaient proposée à 80 sequins (et dont nous n'avons pas retrouvé d'exemplaire).

 

Ce prix de vente élevé explique vraisemblablement le peu d'exemplaires connus aujourd'hui puisque nous n'en n'avons retrouvé qu'un autre, portant également la signature de Zoffoli d'une facture légèrement différente. Lors de sa présentation en vente chez Sotheby's à Londres en avril 2004, le rédacteur du catalogue pensait qu'il s'agissait d'un exemplaire unique sur la base d'une étude exhaustive des collections importantes de bronzes de Zoffoli connues, comme celle conservées à Saltram Park (Devon - Royaume-Uni), au Nationalsmuseum de Stockholm (Suède) ou encore au château de Wörlitz (Dessau - Allemagne).

 

Sur ce catalogue figure également en bonne place la paire de Centaures, dit du Capitole ou Furietti (du nom de leur premier propriétaire), vendus 45 sequins d'or et dont une paire s'est vendue 156,750 € le 9 novembre 2012 chez Sotheby's.

 

La qualité d'exécution des détails de notre ensemble, qui a probablement été réalisée grâce à l'assemblage minutieux de 6 ou 7 pièces fondues séparément, est remarquable à tous points de vue. Nous présentons dans la section "Oeuvres" quelques photos (tête de Laocoon, de son fils ou des serpents, ongles des pieds, finesse de l'armature) qui illustrent l'extraordinaire qualité de réalisation de cette pièce.

   

Principales références bibliographiques :

H. Honour - Bronze statuettes by Giacomo and Giovanni Zoffoli - The Connoisseur, Novembre 1961, pages 198 - 205

F. Haskell & N. Penny - Taste and the Antique - Newhaven & London 1981

I. Pfeiffer - Giacomo Zoffoli. Kleinbronzen aus Schloss Wörlitz - Weltkuntz - 24 décembre 1996 pages 3232 - 3234

J.P. Cuzin, J.R. Gaborit, A. Pasquier - D'après l'Antique - catalogue de l'exposition du Musée du Louvre (16 octobre 2000 au 15 janvier 2001) - RMN, 2012

A. Hilliam - Longing for the Antique: Collecting the bronze statuettes of eighteenth-century Rome - Master of Studies, University of Oxford 2013



[1] Reproduit dans l'ouvrage de F. Hasked et N. Penny, Taste and the Antique (1981) page 342