Télécharger le PDF

 

Bien que nous ne disposions que de peu d’informations bibliographiques sur William James, nous savons qu’il a été formé par Canaletto lors du séjour du peintre en Angleterre entre 1746 et 1755. Sans être peut-être jamais allé à Venise, William James restera durablement sous l’influence de son maître et se fera connaître par ses peintures inspirées des œuvres de Canaletto.

 

 

William James s’inspire ici d’une des douze vues du Grand Canal peintes par Canaletto pour Joseph Smith, ou plus exactement de la gravure qu’en a tiré Antonio Visentini en 1735, pour nous en donner une version toute personnelle, vibrante de couleurs, dans laquelle il s’attache à reproduire avec brio la surface changeante des eaux, animée par le trafic toujours renouvelé des gondoles.

 

  1. William James, le suiveur anglais de Canaletto

 

La vie de William James, qui a travaillé comme védutiste entre 1754 et 1771, reste largement une énigme à ce jour. Alors que nous ne disposons pas de données biographiques précises, Edward Edwards rapporte dans ses Anecdotes of Painters (publiées en 1808) que James a été un élève ou un assistant d’Antonio Canal, dit Canaletto (1697 – 1778) pendant son séjour en Angleterre, entre 1746 et 1755. Cette collaboration a eu une influence déterminante sur l’œuvre de William James qui a par la suite largement imité les vues vénitiennes de Canaletto, tellement à la mode à son époque, mais également les peintures londoniennes de Samuel Scott. James a vécu pendant quelques années à Maiden Lane, Covent Garden, puis au Golden Head dans May's Buildings, St Martin's Lane, un quartier de Londres prisé par les artistes et les artisans.

 

James expose à la Society of Artists of Great Britain de 1761 à 1768 et à la Royal Academy de 1769 à 1771. Il devient membre de la Society of Artists en 1766. La plupart des tableaux qu’il expose sont des vues de Londres, mais il réalise également une série de temples égyptiens qu'il présente à la Society of Artists en 1768 et à la Royal Academy entre 1769 et 1771 (où il expose également en 1771 une Vue du Grand Canal à Venise).

 

On pense que James n'a jamais quitté l'Angleterre, et ces images égyptiennes ont donc dû être basées sur les croquis d'un voyageur inconnu. Quant à ses vues de Venise, qui constituent aujourd’hui la partie la plus recherchée de son œuvre, il s’inspire principalement, comme nous allons le voir plus en détail, du recueil de gravure Prospectus Magni Canalis Venetiarum publié par Antonio Visentini d’après l’œuvre de Canaletto.

 

2. De la peinture de Canaletto à la gravure de Visentini

 

Canaletto réalise en 1727 une Vue du Grand Canal vers l’ouest, du Palais Vendramin-Calergi à San Geremia. Cette vue fut acquise avec l’ensemble des collections de Joseph Smith par le Roi George III en 1762 et fait aujourd’hui partie des collections royales anglaises. Cette vue fait partie d’un ensemble de douze toiles commandées à Canaletto par Joseph Smith, un anglais établi à Venise qui était devenu le marchand de Canaletto.

 

Cet ensemble fut vraisemblablement réalisées entre 1722 et 1732 ; à cette série s’ajoutent deux scènes de festival peintes entre 1733 et 1734. Ces quatorze scènes furent ensuite gravées par Antonio Visentini et publiées sous le titre Prospectus Magni Canalis Venetiarum par Pasquali en 1735. A noter qu’elles ont été gravées à l’envers et que les gravures apparaissent donc dans le même sens que les peintures originales.

 

Canaletto représente à droite l'imposante façade Renaissance du Palazzo Vendramin-Calergi, commandée en 1481 à Mauro Codussi. Canaletto a ajouté par erreur une balustrade au deuxième étage et a représenté deux fenêtres cintrées de part et d'autre de la porte ouvrant sur le canal - il ne devrait y en avoir qu'une de chaque côté, flanquée d'une fenêtre rectangulaire (Canaletto avait d’ailleurs dessiné le palais correctement dans son carnet de dessins). Au loin se trouve la tour de San Geremia, correctement proportionnée mais peut-être légèrement décalée sur la droite. Canaletto a représenté trois ouvertures au lieu de deux de chaque côté de l'étage du clocher. Les fenêtres de l'église adjacente sont également représentées de manière très inexacte.

 

À gauche, dans l'ombre, se trouvent la Ca' Tron et le Palazzo Belloni-Battagia. Au-delà nous voyons la façade en briques des greniers du quinzième siècle, le Deposito del Megio, suivie du Fondaco dei Turchi, construit au treizième siècle qui servit de bureaux et d’entrepôt aux commerçants turcs entre 1621 et 1838. Le Deposito est normalement en recul par rapport au Palazzo Belloni-Battagia, et le canal s’incurve vers la gauche à cet endroit. Canaletto a aplati et redressé la rive gauche du canal pour montrer le Deposito et le Fondaco, qui seraient normalement à moitié cachés, et les deux bâtiments ensoleillés au fond, qui ne seraient pas visibles du tout.

Nous avons reproduit ci-dessus la gravure de Visentini dans laquelle celui-ci a corrigé les inexactitudes introduites par Canaletto, en particulier dans la façade du Palazzo Vendramin-Calergi.

 

3. L’originalité du tableau de William James

 

Il est tout à fait possible que William James ait vu le tableau de Canaletto à Londres après son rachat par Georges III mais il nous semble certain que sa première source d’inspiration est la gravure de Visentini. Le traitement de la façade du palais Vendramin-Calergi (à droite du canal) est en effet conforme à la réalité, telle que présentée dans la gravure de Visentini, et ne reprend donc pas les changements introduits par Canaletto. La Tour de San Geremia est également représentée avec ses deux ouvertures de chaque côté.

 

Alors que William James reste fidèle à Visentini, et donc au modèle original de Canaletto dans l’agencement général des différents bâtiments, la gamme chromatique retenue nous éloigne du modèle vénitien, pour nous amener vers une explosion de couleurs enchanteresses. Les couleurs rouge-orangées des palais (inspirées de celles des façades anglaises) se détachent avec clarté dans une lumière plus froide, évoquant l'atmosphère des berges de la Tamise que James a également représentées à de nombreuses reprises.

 

Cette liberté dans le choix des couleurs confirme l’hypothèse selon laquelle James s’est surtout inspirée de la gravure de Visentini qu’il a eu la tâche délicate de transcrire en couleurs.

 

Si le cadre architectural est fidèlement repris, le tableau est dynamisé par de nombreuses innovations dans le positionnement des personnages et le trafic des gondoles qui anime le canal. Alors que Canaletto faisait se répondre des deux côtés du Canal deux larges tentures rouges, James, en s’inspirant peut-être des scènes de festival, introduit de nombreuses tentures aux couleurs bigarrées qui viennent animer les fenêtres des palais, tant à droite qu’à gauche du canal.

 

La position des gondoles est également largement différente, James les repoussent plus haut dans la composition, dégageant ainsi l’espace mouvant du canal. Il nous semble percevoir le souffle de la brise marine sur ces eaux frémissantes dans lesquelles se reflètent à la fois le ciel et les façades des palais, mais aussi les nombreuses gondoles dont les passagers sont représentés avec finesse.

 

4. Encadrement

 

Ce tableau éclatant est présenté dans un cadre en bois doré de style néo-classique.

 

Principale référence bibliographique :

Rozie Razzal & Lucie Whitaker – Canaletto & the Art of Venice – Royal Collection Trust London 2017