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Cette œuvre de dévotion privée, vraisemblablement commandée à l’occasion d’un mariage entre deux importantes familles florentines (les Compagni et les Tornaquinci) ou d’une naissance, est l’œuvre de l’atelier de Benedetto da Maiano, un artiste du Quattrocento florentin, peut-être assisté par l’atelier de Neri di Bicci pour sa décoration polychrome et dorée.

Elle a été réalisée d’après un original perdu du sculpteur autour de 1490 à l’instar de nombreux autres exemplaires conservés dans plusieurs musées. Notre exemplaire se singularise toutefois par la présence d’un soubassement armorié, par l’importance de sa dorure (qui recouvre à la fois l’extérieur du manteau de la Vierge, mais aussi sa robe décorée de motifs floraux réalisés au poinçon) et par la conservation de son décor polychrome. Toutes ces qualités font de cette œuvre de dévotion, dans laquelle le lien entre la Vierge et son Enfant est évoqué de manière tendre, une sculpture particulièrement émouvante.

 

  1. Benedetto da Maiano, sculpteur florentin à l’aube de la Haute Renaissance[1]

 

Benedetto da Maiano est un architecte et un sculpteur florentin. Sa formation artistique s'est déroulée au sein de sa famille, grâce aux conseils de son père, le sculpteur Leonardo d'Antonio, et à ses contacts avec ses deux frères, l’architecte et sculpteur Giuliano da Maiano (1432-1490), avec lequel il collaborera fréquemment, et Giovanni.

 

Il commence son activité artistique en tant que sculpteur sur bois. Il développe en particulier de nombreux panneaux en marqueterie (intarsia) qui lui assurent rapidement une grande renommée. Giorgio Vasari, un siècle plus tard, le considérera d’ailleurs comme un des meilleurs représentant de cet art qui selon lui connut son apogée dans la Florence du XVème siècle. Il aurait ainsi collaboré avec Sandro Boticelli et Baccio Pontelli à la conception du cabinet de travail de Frédéric de Montefeltre dans le palais ducal d’Urbino.

 

Dans le domaine de la sculpture sur pierre, ses premières œuvres exécutées à partir de 1474 sont influencées par Bernardo Rossellino, comme en témoigne l'Arca di San Savino (Autel des reliques de Saint Savin) de la cathédrale de Faenza. Parmi les témoignages les plus célèbres de son art, on peut citer l'autel de Santa Fina dans la collégiale de San Gimignano et la chaire de Santa Croce à Florence. Devenu l'un des sculpteurs les plus demandés à Florence, grâce à son style doux et harmonieux, il reçoit d'importantes commandes des principales familles de la ville, tant pour des portraits en buste profanes que pour des monuments religieux.

 

Au début des années 1480, il intervient avec son frère Giuliano au Sanctuaire de Lorette et séjourne à Naples entre 1485 et 1489 pour y réaliser le monument de Marie d’Aragon dans la chapelle Piccolomini et une Annonciation pour la chapelle Correale de Sant’ Anna dei Lombardi.

 

2. Origine de l’œuvre

 

Comme l'a noté le grand historien de l’art anglais John Pope-Hennessy [2], l'attribution de cette composition à Benedetto est corroborée par son relief en marbre représentant la Vierge à l'Enfant dans la chapelle Strozzi de Santa Maria Novella, à Florence (laissé inachevé en 1491), qui présente, entre autres détails, une disposition similaire des personnages et des motifs circulaires des plis du drapé, ainsi que la ligne délicate de la mâchoire de la Vierge. Outre la comparaison de Pope-Hennessy, il existe un relief en marbre anciennement polychrome et étroitement apparenté, représentant la Vierge à l'Enfant, qui est conservé au Metropolitan Museum of Art de New York et est également attribué à Benedetto (n° d'inv. 41.190.137). Le modèle des différents exemplaires en stuc serait basé sur une sculpture en marbre aujourd’hui perdue qui aurait été exécutée par Benedetto da Maiano à la même époque que celle du monument Strozzi et ensuite reproduite en stuc au sein de son atelier.

 

Neri di Bicci (1419 – 1491) est un peintre de renom qui semble avoir collaboré à plusieurs reprises avec Benedetto et Giuliano da Maiano. Cet artiste prolifique a peint des retables et d'autres œuvres d'art dévotionnelles, souvent richement ornées d’or, pour des commanditaires dans toute l'Italie. Le 8 décembre 1464, Giuliano chargea Neri de dorer et de peindre une Madoneen plâtre pour l'un de ses clients. La même année, les deux artistes collaborèrent à la réalisation d'un cadre en bois sculpté. La qualité de la peinture et de la dorure de notre bas-relief rend une collaboration avec l’atelier de Neri de Bicci pour son ornementation tout à fait plausible.

 

3. Description

 

La Vierge est représentée de face tenant l’Enfant-Jésus appuyé contre son épaule droite. Sa tête est légèrement penchée vers la droite et elle regarde le jeune Saint-Jean Baptiste représenté à mi-corps. Reprenant la tradition médiévale de la hiérarchisation des personnages, celui-ci est représenté de profil à une échelle réduite (bien que plus âgé que l’Enfant-Jésus), les mains jointes sur la poitrine, un long bâton surmonté d’une croix dans les mains et le visage contemplant celui de la Vierge. Deux séraphins placés aux coins supérieurs complètent la scène.

 

Une restauration récente a révélé la fascinante polychromie d’origine de ce bas-relief et mis en valeur les éléments subsistants de sa dorure d’origine. Cette polychromie s’articule autour d’un ciel peint vraisemblablement avec de la poudre d’azurite sur lequel se détachent quelques étoiles dorées et de l’intérieur du manteau de la Vierge de couleur verte (peint vraisemblablement avec de la poudre de malachite). Ces deux couleurs mettent en valeur la douceur des carnations (peintes sur une préparation orangée que l’on découvre par exemple sur le genou de l’Enfant-Jésus, à la suite de l’usure de la couche picturale), douceur qui est encore accentuée par le blanc du voile délicatement noué autour du cou de la Vierge.

 

Mais la vraie splendeur de ce bas-relief provient du travail de dorure qui recouvre l’intégralité de la robe de la Vierge et l’extérieur du manteau posé sur ses épaules. Cette préciosité est encore accentuée par le travail au poinçon de la robe de la Vierge[3] qui permet d’évoquer un ondoyant brocard décoré de motifs fleuris, en contraste avec l’extérieur du manteau traité uniquement avec des aplats d’or.

 

L’Enfant-Jésus porte un collier et un bracelet finement exécutés et dorés. L’intérieur de sa main droite, refermée dans un geste de bénédiction porte en son centre des traces de cire rouge. Celle-ci servait selon certains spécialistes à coller un élément en haut relief (vraisemblablement un oiseau ou une grenade) complétant ainsi l’illusion de volume.

 

Le bas-relief est divisé en deux parties, la Vierge à l’Enfant avec Saint Jean-Baptiste d’un côté et le soubassement, ici orné de rinceaux fleuris encadrant les armoiries des familles Compagni et Tornaquinci. Ce soubassement constitue une spécificité unique de notre bas-relief puisque comme nous le verrons dans le paragraphe suivant tous les autres exemplaires que nous avons identifiés reposent sur un soubassement orné d’un ange aux ailes déployées, ou ne comprennent pas de soubassement.

 

4. Spécificité de notre exemplaire

 

Il existerait une trentaine de versions de ce bas-relief et plusieurs d’entre elles sont conservées dans des collections publiques [4] ; quelques-unes ont également été récemment présentées en vente. La comparaison avec ces autres œuvres nous amène à souligner le caractère unique de l’exemplaire que nous présentons. Comme indiqué précédemment, notre exemplaire est en effet le seul à notre connaissance qui repose sur un soubassement armorié orné de rinceaux fleuris. Mais trois éléments importants renforcent encore ce caractère exceptionnel :

  • Le cadre qui entoure ce bas-relief est certainement son cadre d’origine. Il est d’une grande simplicité, parfaitement proportionné, ce qui est loin d’être le cas des tous les autres exemplaires que nous avons pu identifier ;
  • Notre bas-relief a conservé l’essentiel de sa polychromie d’origine alors que la plupart des autres exemplaires, restaurés plus anciennement, ont été manifestement très largement repeints (ils présentent généralement une finition cirée assez caractéristique) ;
  • Notre exemplaire est le seul avec celui présenté chez Sotheby’s dans lequel la robe et l’extérieur du manteau de la vierge sont dorés.

 

Nous présentons ci-dessous les reproductions de quelques-uns de ces exemplaires conservés dans des collections publiques ou récemment passés en vente. Celui du Musée du Bargello à Florence nous semble être celui dont l’esprit est le plus proche du bas-relief que nous proposons : restauration dans le respect de la polychromie d’origine, cadre d’origine assez sobre. Nous avons mis en regard un des deux exemplaires conservés au Victoria and Albert Museum qui ne semble pas avoir été peint mais qui révèle une très grande finesse de modelage.

 

Nous avons ensuite reproduit quatre exemplaires très proches les uns des autres conservés au Museo Civico de Prato, aux Capucins de Florence, au Musée Bardini de Florence et au David Osley Museum dans l’Indiana. Trois d’entre eux ont des schémas chromatiques similaires (manteau bleu et non doré, robe lie de vin, ailes des anges rouge) et dans tous les cas seules les auréoles sont dorées. Le seul que nous ayons réellement vu (autrement qu’en photo) est celui du Musée Bardini mais ils nous semblent qu’ils ont tous été assez abondamment repeints.

 

Nous avons également retrouvé trois exemplaires sans soubassements aux couleurs souvent assez proches de ces trois derniers exemplaires : l’un vendu $70,500 (l’équivalent de €80,000) chez Christie’s en 2000, le second également conservé dans les collections du Victoria & Albert Museum, le dernier vendu €40,000 chez Finarte à Venise en 2002.

 

Nous terminons ce tour d’horizon par deux exemplaires dans lesquels la robe de la Vierge, et pour l’un d’entre eux, son manteau sont également dorés : celui du musée de L’Ermitage (Saint Pétersbourg) et celui présenté chez Sotheby’s New-York (vendu $100,000 le 29 janvier 2015 soit l’équivalent de €88,500). Il nous semble que c’est ce dernier exemplaire qui s’approcherait le plus de celui que nous proposons même si le soubassement est différent (modèle du séraphin aux ailes écartées) et qu’à la fois sa polychromie et sa dorure nous paraissent bien rutilantes[5].

 

Nous terminons cette présentation par une photo du dos de l’œuvre que nous présentons qui montre que non seulement le cadre est d’origine, mais qu’en plus cet encadrement ne semble pas avoir été modifié depuis la création de l’œuvre.

 

Bibliographie de référence :

Doris Carl – Ein Florentiner Bildhauer an der Schwelle zur Hochrenaissance – Regensburg 2006 (l’ouvrage a également été publié en anglais)



[1] Nous reprenons ici le titre de l’ouvrage de Doris Carl consacré à Benedetto da Maiano.

[2] J. Pope-Hennessy, Catalogue of Italian sculpture in the Victoria and Albert Museum, London, 1964, pp. 161-162, nos. 136-137, figs. 158 and 160

[3] A noter que pour compléter l’effet et donner du volume la robe de la vierge est également réhaussée par quelques perles de pastiglia.

[4] Parmi les exemplaires dont nous avons retrouvés la mention, nous pouvons citer ceux du Bode Museum de Berlin (Allemagne – Inv. 1581), du Victoria & Albert Museum de Londres (Royaume-Uni – deux exemplaires), des Musées du Bargello et Stefano Bardini, du couvent des capucins à Florence, du Museo Civico de Prato, de l’Oratorio dell' Oca à Sienne, du Museo dell' Opera del Duomo de Perugia (Italie), du Musée de la Région de Silésie à Opava (République Tchèque), du musée de l’Ermitage à Saint Pétersbourg (Russie) et du David Osley Museum of Art de Muncie (USA).

[5] Le catalogue de Sotheby’s mentionne d’ailleurs ces restaurations : « Polychromy refreshed in areas with some remains of earlier polychromy beneath » ; polychromie restaurée par endroit avec quelques restes de la polychromie d’origine en dessous !