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Ce dessin vigoureux, exécuté à la plume et à l’encre et parfaitement conservé, est typique de la technique utilisée par Girolamo de Carpi au cours de son séjour Romain, autour de 1550. Girolamo da Carpi s’est vraisemblablement inspiré pour ce dessin d’une fresque de Polidoro da Caravaggio qui ornait une façade de palais à Rome. Si cette fresque est aujourd’hui disparue, elle est connue grâce à un dessin préparatoire conservé à la bibliothèque royale de Turin.

 

Notre dessin a à son tour servi de source d’inspiration pour des élèves de Girolamo de Carpi, comme en témoigne un dessin conservé au British Museum ; il s’inscrit à ce titre dans la diffusion des modèles créés par Polidoro da Caravaggio par les artistes ayant séjourné à Rome.

 

  1. Girolamo da Carpi, une vie entre Ferrare et Rome au service de la famille d’Este

 

Notre connaissance de la vie de Girolamo de Carpi repose largement sur la deuxième édition des Vies des Artistes publiée en 1568 par Giorgio Vasari (1511 – 1574), qui était devenu un de ses amis proches vers 1550.

Girolamo de Carpi naît en 1501 à Ferrare où son père est également peintre. Après un apprentissage partagé entre l’atelier paternel et celui de Garofalo, Girolamo fait ses premières armes à Bologne où il s’installe en 1525, travaillant aux fresques de la sacristie de San Michele in Bosco aux côtés de Biagio Pupini. Il est alors influencé par Parmigianino, rencontré à Bologne ou lors d’un premier bref séjour à Rome, avant son installation à Bologne.

A partir de 1530, Girolamo de Carpi s’établit à Ferrare, effectuant vraisemblablement un nouveau séjour à Rome en 1531. Il commence également à travailler pour la famille d’Este, d’abord à Belriguardo où il participe à la décoration de la Sala della Vigna, puis au Palazetto della Montagna di San Giorgio (dont il serait peut-être l’architecte) qu’il décore également de fresques et enfin à Copparo. Véritable artiste de cour de la Renaissance, Girolamo exécute également pour ses commanditaires des tableaux de chevalet, des décorations éphémères et des cartons de tapisserie.

Le cardinal Hippolyte d’Este, un de ses principaux commanditaires au sein de cette puissante famille depuis le début des années 1540, l’appelle à Rome pour concevoir l’aménagement de son jardin du Quirinal. Girolamo reste quatre ans à Rome, travaillant également comme architecte au Belvédère pour le Pape Jules III, avant de retourner en 1553 à Ferrare. Sa dernière œuvre comme architecte sera la reconstruction du palais ducal de Ferrare, en partie détruit par le feu en 1554.

 

2.Description de l’œuvre et œuvres en rapport

 

L’inspiration de la scène représentée par notre dessin a été identifiée par Gudrun Dauner à partir d’un projet pour une façade de palais romain, attribué à Maturino da Firenze, l’associé de Polidoro da Caravaggio à l’époque de la décoration de ces palais romains, qui est conservé dans les collections de la Bibliothèque Royale de Turin. La scène qui a inspiré notre dessin se situait au centre de la façade de ce palais situé place dei Capretarri à Rome (dans le quartier de la place Navone, en face de la basilique de Saint-Eustache), entre les deux fenêtres du deuxième étage.

Cette fresque, aujourd’hui entièrement disparue, illustrait la présentation de deux prisonniers Daces à un commandant militaire (empereur ou général), assis sur une estrade dont on devine l’esquisse du socle en bas à droite de notre dessin.

Le groupe paraît allégé par rapport à celui représenté sur ce dessin[1], ce qui suggère que la fresque définitive était plus ramassée dans sa composition que celle représentée dans ce projet, ou au contraire que Girolamo a cherché à synthétiser quelques figures à partir d’une composition plus complexe. Ces deux prisonniers ont les mains liées dans le dos, l’un par une chaîne et l’autre par une corde, toutes deux tenues par deux jeunes soldats. Ils sont caractérisés par leurs barbes fournies et par leurs bonnets phrygiens. La toge relevée sur l’épaule de celui qui nous fait face révèle l’importante musculature de son bras. Nous retrouvons ce goût pour la précision anatomique dans le dessin des jambes des trois principaux protagonistes, dont les contours musclés transparaissent sous leurs vêtements.

Les traits dessinés sous le groupe des cadres personnages évoquent quant à eux la frise qui séparait le deuxième du troisième étage, suggérant que Girolamo avait rassemblé plusieurs dessins sur une même feuille qui aurait par la suite été réduite à ses dimensions actuelles.

Notre dessin a été entièrement réalisé à la plume, d’une main très sûre, sans qu’il subsiste de trace d’un dessin préparatoire au crayon. Son style incisif et précis peut être mis en rapport avec celui des dessins du Taccuiono romano, ce carnet de dessins réalisés principalement par Girolamo da Carpi pendant son séjour romain (1549-1553) et qui est aujourd’hui partagé entre le Rosenback Museum & Library de Philadelphie et la Bibliothèque Royale de Turin.

Nous reproduisons ci-dessous les détails de deux de ses pages : un Dioscure dont la puissante musculature est évoquée par quelques traits de plume et la Présentation de deux barbares, une scène inspirée par un bas-relief de l’arc de Constantin dont la composition est assez proche de celle de notre dessin.

Plusieurs dessins de ce carnet s’inspirent d’ailleurs d’autres façades peintes par Polidoro da Caravaggio [2]. Ces façades, qui ont aujourd’hui presque toutes disparues, constituaient par leur nombre, leur diversité et leur ampleur décorative l’une des principales attractions de la Rome de la Renaissance.

Il est intéressant de noter enfin que notre dessin a vraisemblablement à son tour été la source d’inspiration pour un dessin conservé au British Museum (numéro d’inventaire 1956,0216.3 verso [3]). Ce dessin faisait partie d’un carnet réalisés par des élèves de Girolamo da Carpi d’après des dessins du maître, carnet dont 7 autres feuilles subsistent au British Museum et 4 au Rijksmuseum d’Amsterdam.

 

3. Encadrement

 

Notre dessin est présenté dans un cadre en bois de Sainte Lucie d’époque Louis XIV. Ce dernier est orné de rinceaux végétaux et de motifs floraux dont la fine sculpture fait ressortir la délicatesse du travail à la plume de notre dessin.

 

Principales références bibliographiques :

Alessandra Patanaro – Girolamo da Carpi – Officina Libraria – Roma 2021

Gudrun Dauner - Drawn Together - Two Albums of Renaissance Drawings by GIROLAMO DA CARPI - Rosenback Museum & Library - Philadelphia 2005



[1] A noter en particulier l’absence des deux personnages agenouillés au premier plan.

 

[2] Ce carnet de dessin a fait l’objet d’une étude détaillée par Gudrun Dauner : Drawn Together - Two Albums of Renaissance Drawings by GIROLAMO DA CARPI - Rosenback Museum & Library - Philadelphia 2005. Voir en particulier les numéros 35 recto, 36 recto, 37 recto et 38 recto (pages 98 à 105)

 

[3] Ce verso dont Madame Dauner nous a donné une reproduction ancienne de piètre qualité ne figure malheureusement pas sur le site en ligne du British Museum.